bonjour je dois faire un commentaire composer sur ce texte j'aurais besoin d'un peu d'aide merci
Je n'avais pas d'autre avenir que le prochain coup de téléphone fixant un rendez-vous. J'essayais de sortir le moins possible en dehors de mes obligations professionnelles – dont il avait les horaires –, craignant toujours de manquer un appel de lui pendant mon absence. J'évitais aussi d'utiliser l'aspirateur ou le sèchecheveux qui m'auraient empêchée d'entendre la sonnerie. Celle-ci me ravageait d'un espoir qui ne durait souvent que le temps de saisir lentement l'appareil et de dire allô. En découvrant que ce n'était pas lui, je tombais dans une telle déception que je prenais en horreur la personne au bout du fil. Dès que j'entendais la voix de A., mon attente indéfinie, douloureuse, jalouse évidemment, se néantisait si vite que j'avais l'impression d'avoir été folle et de redevenir subitement normale. J'étais frappée par l'insignifiance, au fond, de cette voix et l'importance démesurée qu'elle avait dans ma vie. S'il m'annonçait qu'il arrivait dans une heure – une « opportunité », c'est-à-dire un prétexte pour être en retard sans donner de soupçons à sa femme –, j'entrais dans une autre attente, sans pensée, sans désir même (au point de me demander si je pourrais jouir), remplie d'une énergie fébrile pour des tâches que je ne parvenais pas à ordonner : prendre une douche, sortir des verres, vernir mes ongles, passer la serpillière. Je ne savais plus qui j'attendais. J'étais seulement happée par cet instant – dont l'approche m'a toujours saisie d'une terreur sans nom – où j'entendrais la voiture freiner, la portière claquer, ses pas sur le seuil de béton.
Quand il me laissait un intervalle plus long, trois ou quatre jours entre son appel et sa venue, je me représentais avec dégoût tout le travail que je devrais faire, les repas d'amis où je devrais aller, avant de le revoir. J'aurais voulu n'avoir rien d'autre à faire que l'attendre. Et je vivais dans une hantise croissante qu'il survienne n'importe quoi empêchant notre rendez-vous.
Extrait de: Ernaux, Annie. Passion simple, 1993.